Le gouvernement en place
Epargnées par les combats, à l’été 1940, les Antilles deviennent l’une des principales bases navales de la marine française. Un important détachement y est dérouté pour éviter qu’il ne tombe pas entre les mains des Allemands. Plus de 5000 marins sont postés aux Antilles pour assurer la fidélité des iles au régime de Vichy et à son représentant direct, l’ultra conservateur et vichyste affirmé l’amiral Robert, haut commissaire de France aux Antilles et en Guyane secondé des gouverneurs Yves Nicol en Martinique et Constant Sorin en Guadeloupe.
Les conseils généraux ont dissous puis les maires démocratiquement élus destitués un par un. Pour les remplacer on choisit des notables appelés gérer les intérêts communaux en bons pères de famille. Les opposants furent arrêtés puis soit mis aux fers, soit incarcérés au bagne guyanais… Le régime impose un retour aux valeurs traditionnelles : travail – famille – patrie, met en place un véritable état policier. Les lois antisémites y sont même introduites et appliquées. L’amiral s’attaqua au rhum, au carnaval, aux bals populaires, aux cases possédant des toits en tôle… aux éléments de la culture antillaise. Mais la vie continuait au rythme des restrictions, du marché noir et des tickets alimentaires. L’alcool était caché et les bals devinrent clandestins. On parle de La vie an tan Robè.
L’opposition antillaise et métropolitaine entre 1940 et 1943.
La grande majorité des Antillais était nettement hostiles la politique de Pétain et leurs représentants locaux. Il y eu un sursaut patriotique Antillais, une volonté de réaffirmer sa citoyenneté française, face ceux qui auraient préféré les traiter autrement. En 1940 malgré l’assurances des autorités de Vichy que le gouvernement n’était ni négrophobe, ni esclavagiste et ne modifierait en rien le statut légal des Antillais ni les rapports raciaux aux Antilles, le retour au paternalisme et la répression donnait l’impression qu’un retour à l’esclavage était prévisible.
Si la résistance armée ne débuta qu’en 1943, les Antillais ne restèrent pas passifs jusque-là. Nombreux furent ceux qui exprimèrent leur hostilité au nouveau régime par des méthodes discrètes et originales, déjouant la censure et la vigilance de la police.
Aux Antilles comme en France métropolitaine la résistance se manifesta sous des formes diverses, il eut tout un éventail actes d’opposition dite quotidienne à Vichy aux Antilles. On entrait en dissidence, terme que les cadres du régime aux Antilles utilisaient pour qualifier l’opposition des Antillais au programme et valeur du régime de vichy.
On refusait de se découvrir pendant exécution de La Marseillaise, alors que Vichy exigeait un grand respect aux hymnes et aux cérémonies officielles, on mutilait les affiches et iconographies pétainistes, on distribue des tracts sous le manteau. La nouvelle plaque nominative de la place de la Victoire à Pointe-à-Pitre qui devait être rebaptisée Place du Maréchal-Pétain fut souillé d’excréments, on narguait les policiers avec des pièces de dix sous pour leur faire comprendre par le biais un rébus ils avaient dissous la République. Les automobilistes klaxonnaient des « V » pour Victoire en morse. Au match de fooball on criait des Vive de Gaulle en même temps que des Vive le goal. Des intellectuels antillais menaient aussi ce combat discret. La revue Tropiques en Martinique, créé sous Vichy par le père de la Négritude Aimé Césaire, s’adressait à la population de manière codée, pour une double lecture celle de la censure et celle des Martiniquais.
L’entrée active en dissidence aux Antilles
A l’instar du maquis en métropole, on décidait de rejoindre les forces libres françaises combattantes dans les îles des Caraïbes avoisinantes ou se trouvaient les bureaux de recrutement.
Entre 1940 et 1943 mais surtout entre 1942 et 1943, 1000 000 jeunes Antillais de 16 à 22 ans, rallièrent, au péril de leurs vies à bord d’embarcations rudimentaires, les îles anglaises voisines de la Dominique et Sainte Lucie d’ou ils rejoignirent les forces libres françaises. L’un des plus connus d’entre eux est Frantz Fanon.
Une génération de jeunes hommes quitta ainsi entre 1942 ( à l’appel du général de Gaulle) et 1943 les Antilles françaises laissant derrière elle une pénurie de main-d’œuvre agricole durement ressentie, angoissant de manière croissante les autorités. Entre 1942-1943, 150 dissidents mineurs – donc inadmissibles dans l’armée en application de la loi exigeant le consentement écrit du représentant légal pour – furent néanmoins admis comme volontaires à titre tout fait exceptionnel.
Même s’ils faisaient le plus souvent payer les dissidents, les passeurs ont joué un rôle indispensable, car fins navigateurs pêcheurs pour la plupart, ils étaient capables de naviguer de nuit sur les canaux meurtriers d’une quarantaine de kilomètres vers la Dominique ou Sainte-Lucie. Beaucoup moururent noyés mais les rescapés sont envoyés à Porto-Rico, puis aux Etats-Unis, où ils intègrent le « bataillon de marche des Antilles » (le BMA) qui participeront à de nombreuses batailles dans l’Hexagone: Vosges, côtes Atlantique, Normandie, Alsace mais aussi en Allemagne et Afrique de Nord…
Tout comme les hommes, les femmes aussi entrèrent en dissidence aux Antilles. Des institutrices, limogées en masse en application des lois sur le travail féminin interdit pour s’occuper de sa famille, participaient à de nombreuses actions clandestines et d’actes d’opposition quotidienne. Elles étaient aussi auxiliaires de l’armée de terre, remplissaient des taches d’infirmières, d’opératrices de transmission, de standardistes.
La libération avant la France
Si les premières tentatives de libération débutèrent en Guadeloupe, la libération n’a pu se faire qu’après la réédition de l’amiral Robert et son état major en Martinique.Tout commença par une communication radiophonique de la France libre encourageant les Antillais à commémorer le 3ème anniversaire de armistice de juin 1940. Une foule se rassembla place de la Savane à Fort-de- France, violemment réprimée. Peu de temps après, le 27 juin 1943, la 3e compagnie, composée de 70 soldats européens et 22 Africains postés, dans les hauteurs de Fort-de-France se mutina en même temps que le Comité martiniquais de libération nationale.
Durant 12 jours l’amiral Robert resta intraitable avant de céder au début du mois de juillet face à une compagnie qui grossissait chaque jour de nouveaux volontaires. Après des négociations avec les meneurs de la dissidence et les Américains, la France libre opéra la passation de pouvoir.
Une reconnaissance officielle tardive
Sur un total d’environ trente mille soldats des Forces Françaises Libres (FFL) c’est-à-dire de soldats qui se sont battus pour une France libre aux côtés du général De Gaulle, on peut compter 2500 soldats antillais, provenant pour moitié de la Martinique et de la Guadeloupe. Les dissidents antillais ont passé un total de 12 mois au front avec de dix jours de permission. Aucun ancien dissident ne regrette avoir participé à l’action résistante de la Seconde Guerre Mondiale.
Ils sont en revanche tous déçus de voir comment leur participation a été méprisée , ignorée par la Métropole et par conséquent méconnue par les Antillais. Pourtant c’est en grande partie grâce à ses colonies (Bataillon Algérien, Tirailleurs sénégalais, Bataillons antillais…) que la France a pu reconquérir sa liberté. Mais les dissidents sont, une fois le conflit achevé, soupçonnés de volontés indépendantistes.
Après la guerre, une stèle a été élevée dans la capitale Roseau, principal lieu de débarquement des partisans caribéens. Mais depuis Paris, ni les représentants du pays ni les chefs de la Résistance n’expriment de reconnaissance.
Ce sont les chercheurs anglo-saxons qui sont les premiers à s’intéresser à Vichy aux Antilles, puis des romanciers qui, comme le martiniquais Raphaël Confiant en 1988 dans Le nègre et l’amiral. Plus tard militants et d’universitaires se penchent sur ce pan de l’histoire et dans les années 2000, des documentaires destinés au grand public sont réalisés.
En 2009, le président de la République Nicolas Sarkozy décora 15 résistants antillais devant le monument aux morts de Fort-de-France en qualifiant “d’exemplaire” la Dissidence aux Antilles et en la jugeant digne d’appartenir à “la légende sacrée de la Seconde Guerre mondiale”. En 2010 fut inaugurée en Martinique la première stèle commémorative dans la commune des Trois-Ilets.
Les anciens combattants d’outre-mer ont dû attendre 2011 avant d’être officiellement invités à la commémoration du 18-Juin au Mont-Valérien et aux Invalides.
Une plaque commémorative installée dans la Cour du Dôme des Invalides leur rend leur légitimité dans l’Histoire mais la plupart ne sont plus là pour apprécier cet hommage.
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