Blake’s : Quelles ont été les sources d’inspiration pour l’écriture de ton album ?
Ma trajectoire. Elle vient de ce qui m’est le plus proche de moi, de mon cercle… Ça fait un peu ego trip, mais ça vient de moi et de ce que j’étais en train de traverser parce que bizarrement c’est ce qui a créé les bases de ma renaissance. Quand j’ai fini mon premier album, j’ai décidé de partir à Miami, d’être dans un environnement où je me retrouverai seule pour rentrer dans une phase d’introspection. J’ai créé un environnement adéquat pour rentrer dans cette phase que je sentais nécessaire.
Blake’s : Est-ce une sorte de mode d’emploi, une présentation du processus de changement de vie pour les femmes ?
C’est carrément ça ! Pour les femmes en l’occurrence parce que j’en suis une, mais pas que. Mais c’est ça : passer un cap, regarder en arrière et se dire comment je peux en faire une sorte de modèle, de patron (de couture). Je voulais faire passer le message que finalement c’est très rassurant de se dire que d’autres sont passées par là, qu’il y a un début, une fin, des étapes, comme il y a les 4 saisons et que ce de mal-être dans lequel on est n’est pas éternel.
Blake’s : Pourquoi chanter en 3 langues à la fois : anglais, français, créole ? Tu n’as pas peur que ce soit un barrage pour une partie de ton public ?
Bien au contraire. Je chante en 3 langues parce que je suis ancrée dans mon ère, dans mon présent. Au contraire je pense que chanter seulement dans une langue serait un barrage, car j’ai plusieurs types de publics, d’auditeurs. Et aujourd’hui beaucoup de créolophones comprennent le français et l’anglais, beaucoup de Français comprennent l’anglais, donc non ça ne le divise pas ça le réunit. Et finalement c’est anti-clivage.
Blake’s : Tes interludes sont clairement destinés à l’auditeur. Peux-tu nous les expliquer ? Parce que je ne suis pas attachée qu’à la musique. L’objectif premier était de faire passer un message. Et même si la musique aide à les faire passer, parfois on a juste besoin de les entendre clairement, simplement. Et finalement, je pense que ce n’était pas réellement adressé aux auditeurs, plutôt à moi. Ce sont des discussions que j’ai eues avec ces filles. Par exemple l’interlude qui est en anglais : on parlait avec Louca Bell de la vie, de papillon, de la transformation et j’ai été choquée de sa maturité, car elle était tellement jeune ! Et je lui ai demandé si je pouvais enregistrer ça pour le réentendre tellement c’était fort. Je ne pensais pas que j’allais le mettre après dans mon album.
Blake’s : On ressent l’influence de l’Afrique dans certaines de tes chansons. Est-ce suite à ta tournée en Afrique ?
Je pense qu’en étant créole on est cyclique. Moi en l’occurrence j’ai eu mes cycles et l’Afrique a toujours été en toile de fond. Il y a eu sur mon premier album une inspiration américaine parce que j’ai eu ce cycle là… Le processus d’introspection c’est d’aller dans les couches plus profondes et moi j’y ai retrouvé l’Afrique, Mon Afrique. Parce que l’on en a une vision fantasmée en tant que créole. Donc j’avais besoin de faire mon retour à l’Afrique et musicalement ma boucle s’est bouclée.
Blake’s : Comment y as-tu été accueillie ?
C’est très étrange d’arriver en Afrique et de vouloir confronter son imaginaire à la réalité. Quand j’arrive, je ne sais pas trop comment la prendre cette Afrique, parce ce qu’elle est imposante. Il faut un peu de temps pour la comprendre. Les enfants dans la rue quand ils me voyaient disaient regardez-moi la Blanche ! Très bizarre (rire). J’ai un nom de famille qui a priori serait d’origine de Côte d’Ivoire, de la famille Guéré. Donc les gens te voient aussi comme l’enfant qui rentre au pays…
J’ai été surprise que des gens connaissent ma musique, que je puisse leur chanter en créole sans que ça gêne. C’est à mon 2e voyage, le soir de mon dernier concert que j’ai réalisé que j’avais fait le chemin inverse et que j’étais devant des gens qui pouvaient être des grands cousins, des grandes-tantes, j’ai pris conscience de ce bouleversement.
Blake’s : Peux-tu nous parler de tes featurings : Dydy, Louca Bell, Asani
Louca est une jeune fille de 17 ans, sœur d’une amie qui était vierge de plein de choses et j’ai eu des échanges avec elle comme je n’en ai jamais eu avec des femmes de mon âge. J’ai été étonnée de voir qu’une jeune fille comme ça pouvait avoir un entendement aussi clair, acéré, par ce qu’il était encore brut, pas encore pollué par des croyances bizarres. Je la vois comme une touche d’espoir pour nos petites sœurs qui arrivent.
Asani et Dydy sont des sœurs. J’ai rencontré Dydy lors d’un concert à Paris et on s’est revu. J’ai fait une rencontre Renaissance Woman à Paris et elle était là. C’est une fille qui veut changer de métiers et qui a projet de travailler dans le cheveu naturel. Ce qu’elle nous dit par rapport à la peur c’est sur son parcours personnel et sa sœur c’est pareil… On a discuté et voilà. Et je me suis dit que ce que je pouvais en tirer moi pouvait servir à d’autres personnes.
Blake’s : Le choix de l’autoproduction fait-il partie de la Renaissance Woman que tu es devenue ?
Bien sûr ! D’ailleurs je pense que ça a été le point de départ de la prise de conscience, de se dire comment je passe à autre chose, comment j’affronte mes peurs. Je prends toute ma responsabilité. Je ne me cache plus derrière qui que ce soit. Et au-delà de vouloir faire un album seule, c’était aussi se dire est-ce que j’arrive à m’assumer complètement, à assumer mes échecs, c’est aussi ça, parce que l’autoproduction c’est très compliqué.
Blake’s : Pourquoi ce choix de renaître ? L’ancienne Stevy n’était pas assez « accomplie » ?
Parce que je pense que l’on a toujours autre chose à vivre. Que mon accomplissement se terminera quand je serai dans ma tombe, et encore ! je pense que l’on est constamment en train de renaître, heureusement !, comme nos cellules, comme tout… La renaissance c’est juste assumer le fait que l’on change, et arrêter d’être en résistance au changement et que tant qu’à faire, on va même accompagner sa renaissance, consciemment.
Blake’s : J’ai lu que tu avais fait le parallèle entre Renaissance Woman et Femme Poto Mitan ? Pourquoi ?
Cette histoire de femme Poto Mitan pèse, et pas seulement sur le dos des femmes, sur les hommes aussi. C’est idée de toujours nous élever en nous disant « tu te dois être forte, fanm se chaten, nonm sé fouyapen etc etc… Je suis fatiguée d’entendre ça !, je ne suis pas une châtaigne (rires) je ne repousse pas forcément rapidement, et je n’ai pas forcément envie de porter la charge d’un foyer sur mes épaules…
La renaissance c’est aussi accepter que l’on puisse être faible et être en paix avec ça.
C’est accepter que l’on ait besoin de l’autre, homme ou femme peu importe, mais quelqu’un en l’occurrence qui nous aide. Il est temps pour nos sociétés afrodescendantes d’abolir cet espèce de fantasme de Solitude la Mulâtresse. Mais il y a eu d’autres modèles dont on ne parle jamais. Il est temps pour nous de sortir du mythe et être aujourd’hui dans la pleine conscience qu’une femme, ça fatigue, qu’aujourd’hui un homme est beaucoup plus fort que ce que l’on pense, ce n’est pas juste je fais un enfant et je l’abandonne, c’est faux !
Il y en a qui sont là et ont envie d’avoir leur place dans cette construction familiale qu’on ne leur laisse pas… Renaissance Woman c’est remettre les compteurs à 0.
Blake’s : Tu peux nous expliquer la cover de ton album ?
Il y a mon petit bonhomme, ma petite Moun, que j’ai décidé, dans une position très de chez nous la main posée la hanche. Il y a des Adinkras, symboles traditionnels africains. Et en arrière-plan j’ai écrit mes impressions sur mes craintes, peurs, frustrations. Je voulais que ce soit comme des notes sur des post-its que tu colles sur ton miroir et que quand tu te regardes tu te dises « Je peux le faire » !
Un dessin est plus minimaliste qu’une photo et peut exprimer plus de choses. C’est plus compliqué de te mettre à ma place si c’est moi que tu vois, mais quand tu vois ce petit bonhomme avec sa couronne tu peur arriver à te dire que ça peut être toi.
Blake’s : Un dernier mot pour nos lectrices ?
Oui, de ne pas avoir peur de la renaissance, de lâcher, de passer à un autre cycle. C’est normal d’avoir peur et que malgré le fait que l’on ne nous ai pas appris cela, parce que la société nous a appris à résister au changement. Mais résister au changement c’est la mort en réalité. Et pour moi, il existe 2 émotions : l’amour et la peur. Si ce n’est pas de l’amour, c’est de la peur, point barre. Donc à partir de là il faut essayer, à son niveau, de gérer ces énergies, puis de prendre son temps, parce que l’on ne doit rien à personne à part soi, et de lâcher jour après jour une petite bride de peur.
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Moun’ by Stevy Mahy
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